Il y a deux ans, jour pour jour, on fêtait les 80 ans de Pierre Garnier à la Maison de Jules Verne à Amiens. C’est Jean-Paul Dekiss, son directeur, qui en avait pris l’initiative avec le soutien de Cécile Odartchenko, la fondatrice des Éditions des Vanneaux . De nombreux poètes amis étaient présents ce jour-là parmi lesquels Julien Blaine, Bernard Heidsieck et moi-même. Voici le texte que j’avais lu à cette occasion :
En feuilletant l’Imprimerie de Rochefort-sur-Loire
L’Imprimerie de Rochefort-sur-Loire de Pierre Garnier, une chronique illustrée en poésie, achevée d’imprimer le 30 janvier 1997, j’en ai été l’éditeur aux Cahiers de Garlaban.
«Je suis né dans la ville d’Aubagne, sous le Garlaban, couronné de chèvres au temps des derniers chevriers. Ce n’est pas une montagne mais ce n’est plus une colline, c’est Garlaban» écrivait Marcel Pagnol au début de La Gloire de mon père.
Ainsi mes amis poètes et moi-même avions-nous choisi le Garlaban pour nous encrer dans un lieu et une culture, pour nous réclamer de la Provence, de la culture occitane et de sa langue. Tout comme Pierre, se réclame de Saisseval, d’Amiens, de la Picardie et de la langue picarde.
« Picardie ruissellement d’argent
Anjou ruissellement de vermeil
Provence ruissellement d’or
c’est ainsi que, vieillissant
je divise la Lumière
au fond de la Provence le loup
au fond de la Picardie le cerf
au fond de l’Anjou le cheval
c’est ainsi que les provinces vont
jusqu’au fond d’elles-mêmes »
écrit-il dans le recueil. C’est bien de cela dont il s’agit, aller jusqu’au fond d’une province pour essayer d’en approcher le secret. C’est ce que nous cherchions avec nos Cahiers de Garlaban, sur les traces de nos prédécesseurs illustres dont Fréderic Mistral, Prix Nobel de Littérature, fondateur du Félibrige et auteur à 29 ans d’un chef d’œuvre intitulé Mireille.
« j’ai lu et relu Le grand Meaulnes
de Goupil à Margot et bien sûr Mireille
Et les poèmes d’Edouard David dans la
Langue de Picardie »
nous confie encore Pierre. La Picardie a son Frédéric Mistral en la personne d’Edouard David (1863-1932). Sa Marie-Chrétienne est le chef d’œuvre en Picard qui est le pendant du Mireille en provençal de Mistral que Pierre a lu aussi. Mais il est ici question du Grand Meaulnes, comme il a été question de l’Anjou plus haut. La Provence, oui, la Picardie bien sûr, mais pourquoi l’Anjou ? Et pourquoi donc ce titre L’Imprimerie de Rochefort sur Loire ?
Edmond Humeau, un poète que Pierre mentionne dans le recueil, un ami qui nous est commun, que j’ai aussi édité aux Cahiers de Garlaban, à propos des poètes de Rochefort a parlé de Felibrige de la Loire. La réponse approche : a existé en Anjou un groupe de poètes, enraciné dans leur province, qui ont célébré leur terre, comme Pierre l’a fait en Picardie, comme nous avons tenté de le faire en Provence. Ce groupe a pris pour nom L’Ecole de Rochefort.
En feuilletant l’Imprimerie de Rochefort-sur-Loire
L’Imprimerie de Rochefort-sur-Loire de Pierre Garnier, une chronique illustrée en poésie, achevée d’imprimer le 30 janvier 1997, j’en ai été l’éditeur aux Cahiers de Garlaban.
«Je suis né dans la ville d’Aubagne, sous le Garlaban, couronné de chèvres au temps des derniers chevriers. Ce n’est pas une montagne mais ce n’est plus une colline, c’est Garlaban» écrivait Marcel Pagnol au début de La Gloire de mon père.
Ainsi mes amis poètes et moi-même avions-nous choisi le Garlaban pour nous encrer dans un lieu et une culture, pour nous réclamer de la Provence, de la culture occitane et de sa langue. Tout comme Pierre, se réclame de Saisseval, d’Amiens, de la Picardie et de la langue picarde.
« Picardie ruissellement d’argent
Anjou ruissellement de vermeil
Provence ruissellement d’or
c’est ainsi que, vieillissant
je divise la Lumière
au fond de la Provence le loup
au fond de la Picardie le cerf
au fond de l’Anjou le cheval
c’est ainsi que les provinces vont
jusqu’au fond d’elles-mêmes »
écrit-il dans le recueil. C’est bien de cela dont il s’agit, aller jusqu’au fond d’une province pour essayer d’en approcher le secret. C’est ce que nous cherchions avec nos Cahiers de Garlaban, sur les traces de nos prédécesseurs illustres dont Fréderic Mistral, Prix Nobel de Littérature, fondateur du Félibrige et auteur à 29 ans d’un chef d’œuvre intitulé Mireille.
« j’ai lu et relu Le grand Meaulnes
de Goupil à Margot et bien sûr Mireille
Et les poèmes d’Edouard David dans la
Langue de Picardie »
nous confie encore Pierre. La Picardie a son Frédéric Mistral en la personne d’Edouard David (1863-1932). Sa Marie-Chrétienne est le chef d’œuvre en Picard qui est le pendant du Mireille en provençal de Mistral que Pierre a lu aussi. Mais il est ici question du Grand Meaulnes, comme il a été question de l’Anjou plus haut. La Provence, oui, la Picardie bien sûr, mais pourquoi l’Anjou ? Et pourquoi donc ce titre L’Imprimerie de Rochefort sur Loire ?
Edmond Humeau, un poète que Pierre mentionne dans le recueil, un ami qui nous est commun, que j’ai aussi édité aux Cahiers de Garlaban, à propos des poètes de Rochefort a parlé de Felibrige de la Loire. La réponse approche : a existé en Anjou un groupe de poètes, enraciné dans leur province, qui ont célébré leur terre, comme Pierre l’a fait en Picardie, comme nous avons tenté de le faire en Provence. Ce groupe a pris pour nom L’Ecole de Rochefort.
L’histoire littéraire l’inscrit après le Surréalisme, dont il se revendique mais qu’il veut dépasser en l’humanisant et en le végétalisant. L’Ecole de Rochefort a été fondée en 1941, en pleine guerre.
Voici comment en parle Pierre dans le recueil :
« 1941 – la poésie erre
dans les villages
comme toujours les capitales sont occupées
1941 - la Mort tient les hommes par cent fils
et elle les secoue :
‘Vous êtes mes complices…’
1941 les poètes de Rochefort
sont des arbres : ils font leur bois
ils se chauffent à leur bois
ils s’éclairent à leur bois…
1941 – la vie a besoin de repos
la mort a besoin de repos
vie et mort s’entendent dans la forme
des poèmes
1941 – il y a beaucoup de détresse
il y a aussi au bord du non-être
la joie haute d’être »
La joie haute d’être, Pierre a touché à l’essentiel, comme le firent les poètes de Rochefort dans cette nuit de l’Occupation, remettre en route les forces de la vie pour faire barrage à la mort, opposer la lumière à l’obscurité.
« 1941 – les forêts reprennent les hommes
les fleurs reprennent les femmes
les sentiers reprennent filles et garçons
les soldats ne comprennent rien
1941 – nous sommes entre nous
avec les arbres
nous nous croisons nous nous entendons
nous nous écoutons »
nous chuchote encore Pierre. Mais en 1941, il n’était pas à Rochefort-sur-Loire, il était à Amiens où la guerre fut plus terrible encore et marqua en profondeur son adolescence, attisa sa soif de lumière, de nature, d’arbres, d’oiseaux. La même que celle des poètes de Rochefort dont l’imprimerie fonctionna non pour chanter un pays, une terre, refermés sur eux-mêmes, mais pour chanter des villages qui donnent sur l’infini du monde, dont les portes s’ouvrent sur le cosmos.
« L’imprimerie des étoiles produit six
ou sept poèmes
ça suffit pour l’histoire du monde
à quelques mètres du village
c’est la paix
les vaches suivent lentement les vaches
une éternité que ne connaissent pas
les hommes »
chante aussi Pierre. Oui, L’Imprimerie de Rochefort-sur-Loire s’est confondue avec l’imprimerie des étoiles.Mais cette histoire n’est pas seulement cosmique, il fallait bien un lien humain pour relier la Picardie à la Provence et la Provence à l’Anjou ou bien l’Anjou à la Picardie.
En 1991, on fêta le cinquantième anniversaire de L’Ecole de Rochefort et Pierre apporta alors son témoignage :
« ce que mon enfance attendait, déjà en 1941 année de la fondation de l’Ecole de Rochefort, puis après la guerre, après la mort c’était une école de campagne, celle d’Augustin Meaulnes, mais c’est vers 1950 que j’ai dû apprendre que ces poètes de rêve existaient, ou à peu près. »
Les poètes savent se trouver et se reconnaître. Et Pierre de préciser dans le même texte :
« c’est après la guerre, peu après mon adolescence, vers les années 1950 que j’ai connu les poètes de l’Ecole de Rochefort »
Ils forment dans le recueil un longue liste dans la laquelle on retrouve aussi les amis et les proches, ceux qui les ont précédés aussi sur ce même chemin de poésie, bref toute la famille. En voici quelques noms :
René Guy Cadou, Michel Manoll, Marcel Béalu, Jean Rousselot, Luc Bérimont, Yanette Delétang-Tardif, Jean Follain, Louis Guillaume, Georges-Emmanuel Clancier, Théophile Briant, Paul Chaulot, Louis Parot, Roger Toulouse, Maurice Fombeure, Gabriel Audisio, André Salmon, Hélène Cadou, Serge Wellens, Max Jacob, Pierre Reverdy et pour finir Jean Bouhier, le fondateur de l’Ecole de Rochefort. Celui qui accueillit Pierre et créa ainsi ce fil invisible entre l’Anjou et la Picardie.
Mais le fil qui relie l’Anjou et la Provence, c’est lui aussi qui allait le tendre en venant un beau jour de 1973 se retirer dans le Var à Six-Fours-les-plages. Les poètes savent se trouver, je vous l’ai dit et le groupe des Cahiers de Garlaban a pris un jour le chemin de la maison de Jean Bouhier, à flanc de colline, regardant la mer Méditerranée.
C’était dans années 80, L’Ecole de Rochefort reprenait sa place sur la scène poétique, pour un rôle durable cette fois, après être longtemps restée dans les coulisses. Jean Bouhier s’en réjouissait et mettait toute son énergie à participer à cette nouvelle aventure.
En 1986, L’Ecole de Rochefort fut fêtée à Lyon, les poètes des deux générations qui la constituent se retrouvèrent alors à cette occasion. Jean Bouhier, Jean Rousselot, Edmond Humeau du premier cercle étaient présents, Jean-Vincent Verdonnet, Serge Wellens et Pierre représentant de la deuxième époque étaient là aussi. C’est ainsi qu’en accompagnant Jean Bouhier, j’ai fait la connaissance de Pierre.
Il est seul dans une salle en attendant la rencontre qui se prépare avec des étudiants. Le contact est immédiat et chaleureux, l’humour se glisse vite dans l’échange. Pierre rit racontant que dans son village tout le monde parle du Turc que la commune vient d’embaucher. Du Turc ? A l’époque le gouvernement vient de créer les TUC, les Travaux d’Utilité Collective qui deviendront plus tard les emplois-jeune.
La langue dans l’infini de ses surprises, toujours à l’œuvre pour provoquer le poète.
Tout en étant toujours resté fidèle à l’Ecole de Rochefort, à son lyrisme, Pierre a souhaité à l’orée des années soixante explorer les voies ouvertes par la poésie concrète et visuelle. Elles envisageaient la langue comme une matière à travailler. Il s’est alors lancé dans l’aventure du spatialisme. Ainsi son œuvre s’est développée sur deux versants comme cela arrive parfois.
J’ai en tête l’exemple de Gaston Bachelard, travaillant à la fois sur le versant de la philosophie des sciences et sur celui de la poétique. Et disant cela je ne peux m’empêcher de mentionner qu’il cite Pierre dans son dernier livre La flamme d’une chandelle.
« Pour un rêveur novalisien des flammes animalisées, la flamme, puisqu’elle s’envole est un oiseau » écrit Bachelard, qui choisit alors ces vers de Pierre pour illustrer son propos. « Où prendrez-vous l’oiseau/Ailleurs que dans une flamme ».
Il est intéressant de remarquer que la citation est extraite d’un Cahier de Rochefort.
Etonnant aussi de poursuivre dans la citation de Marcel Pagnol donnée plus haut :« C’est Garlaban où les guetteurs de Marius, quand ils virent au fond de la nuit, briller un feu sur Sainte-Victoire, allumèrent un bûcher de broussailles : cet oiseau rouge vola de colline en colline et se posant enfin sur la roche du Capitole, apprit à Rome que ses légions des Gaules venaient d’égorger dans la plaine d’Aix, les cent mille barbares de Teutobochus ».
Mystérieuses correspondances entre les images et perceptions des poètes où s’entremêlent l’éternité des éléments avec le tragique de l’histoire.
On s’est souvent demandé chez Bachelard si les deux versants de son œuvre puisaient à la même source. On pourrait en faire de même pour Pierre. Dans L’Imprimerie de Rochefort sur Loire, poèmes lyriques et poèmes spatialistes se répondent et s’accompagnent. Bien sûr qu’il y a unité d’inspiration. Et l’économie de traits et de signes qu’oblige un poème spatialiste, nous la révèle.
Un poème montre le soleil et les étoiles et porte la mention « Imprimerie de Rochefort sur Loire », un autre montre le soleil et la lune, recto/verso, un autre encore un cercle : le point final/le point d’origine, le dernier contient deux soleils : soleil de l’origine et soleil de la fin. De la lumière toujours !
« le poème aujourd’hui
un microscopique résumé
de la vie qui dure un jour
entre deux nuits éternelles »
a indiqué Pierre un peu avant.
Oui, L’Imprimerie de Rochefort-sur-Loire, se confond bien avec l’Imprimerie des Etoiles. Celle-ci fonctionne sur terre, là où elle le choisit, en Anjou, en Picardie, en Provence, ou ailleurs dans le monde, chaque fois qu’un poète a su capter la lumière qui vient du ciel, de jour comme de nuit, chaque fois qu’il a su transcrire ce que le cosmos a murmuré à son oreille.
Merci Pierre !
Compléments :
- Le site de la Maison de Jules Verne
- Le site des Editions des Vanneaux
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