En février 2010, nous avions consacré une chronique à Serge Bec en présentant son livre Femna mon Amor/Femme mon amour. A cette occasion nous avions fait mention de la journée qui lui avait été consacrée en avril 2009 par le département d'Occitan de l'Université Paul Valéry de Montpellier à l'initiative de Marie-jeanne Verny. Les textes des interventions qu'elle avait rassemblés par la suite viennent de paraître dans la Revue des Langues Romanes. Gérard Gouiran responsable de cette publication m'a aimablement autorisé à présenter dans ce blog de larges extraits de l'avant-propos où Marie-Jeanne Verny situe cette journée d'étude dans le contexte de recherche du département d'Occitan et présente le contenu des différentes interventions parmi lesquelles on trouvera la sienne portant sur une analyse très stimulante de la correspondance entre Serge Bec et Robert Lafont. Je les remercie tous les deux.
La journée d’études organisée en 2009 par l’équipe de recherches RedOc / LLACS autour de l’œuvre de Serge Bec, en présence de l’auteur, fut la deuxième initiative d’un programme pluriannuel sur la poésie d’oc des années 1930 à 1960. À la suite des suggestions de Philippe Gardy, il parut évident que les sources du renouveau poétique contemporain étaient à chercher dans cette période. Un premier colloque, en 2008, y fut donc consacré, dont la moitié des communications, centenaire oblige, étudièrent l’œuvre de Max Rouquette. Des regards furent aussi portés sur d’autres écrivains : Robert Allan, Jean Boudou, Charles Camproux, Gumersind Gomila, Denis Saurat, sur la revue Òc ou sur les anthologies, tant de la tradition mistralienne que du renouveau occitan[2]. Un deuxième colloque, en 2010, s'intéressa aux échos du trobar dans la littérature contemporaine, en particulier chez Max Rouquette, Miquèu Camelat, Prosper Estieu, Paul-Louis Grenier, Jeanne Barthès dite Clardeluno, Jean Boudou, René Nelli, et Robert Lafont. Les Actes sont en cours d'édition, dans une collection qui devrait regrouper les travaux sur la réception des troubadours du Moyen Âge à l'époque contemporaine[3]. Depuis ces premières initiatives, les travaux se sont poursuivis : Jean-François Courouau a édité Denis Saurat[4] ; Philippe Gardy a publié des traductions de Lorca par Max Rouquette[5], une étude de la poésie de René Nelli illustrée par un choix de textes et s’est intéressé, dans un numéro de la revue Lenga e Pais d'òc[6] aux débuts poétiques de Robert Lafont ainsi qu'à son travail critique dans les Cahiers du Sud, où l'accueillit Jean Ballard grâce à l'entremise de René Nelli[7] ; l’œuvre poétique complète de Robert Allan (texte établi et annoté par Marie-Jeanne Verny) doit paraître prochainement aux éditions Letras d’òc...
La personnalité de Serge Bec, un des poètes occitans contemporains les plus féconds, jusqu'en ce début du XXIe siècle, et ses débuts poétiques dans les années 50 nous ont paru mériter qu'on lui consacre une journée spéciale, en attendant la réédition des premiers recueils dont il est ici question, devenus introuvables. Ces premières œuvres répondent en effet à l'analyse que faisait Philippe Gardy dans l'introduction des actes du colloque de 2008 :
Entre le début des années 1930 et la fin des années 1950, rien ne change au fond, et cependant tout se modifie dans ce territoire d’écriture dont les dimensions demeurent néanmoins modestes. Des héritages sont là, très présents, parfois trop, juge-t-on. Il en va ainsi du mistralisme et du Félibrige, dont l’ombre, que certains commencent à juger stérilisante, s’est étendue sur toutes les formes d’écriture occitane, et d’abord poétiques. Pour résumer : on admire Mistral, assez uniformément, mais on refuse l’héritage qu’il a pu laisser, à son corps défendant souvent. Et l’on est enclin à se rebeller contre une tradition qui consisterait avant tout à répéter, plus ou moins servilement, et à se conformer aux leçons les plus convenues héritées des générations antérieures.
Comme d'autres poètes d'oc de Provence, à commencer par Robert Lafont lui-même, le jeune Bec fréquenta d'abord des cercles félibréens, avant de prendre violemment son autonomie, avec son compère et voisin Pierre Pessemesse. En témoigne sa correspondance avec Robert Lafont, dont cette lettre de 1954 : « Il faut soulever la croûte et racler la chair une fois pour toutes. Il faut faire saigner !... » qui est à peu de choses près la traduction littérale d'une formule de l'introduction du recueil Li Graio negro cosigné Pessemesse, Bec et Max Fayet : « Fau grafigna la rusco, metre la plaga au viéu e faire sauna... ».
Le premier article, signé de Philippe Martel, fait l’histoire de cette période de durcissement des conflits entre les deux camps qui allaient désormais s’opposer pendant des décennies, tout en tentant périodiquement des rapprochements. Martel n’oublie pas cependant le contexte plus large des « temps qui changent », contexte historique « riche en péripéties » entre guerres et mutations sociales, techniques et mentales, qui marque l’entrée en littérature du jeune auteur. La fin de la période étudiée correspond à la confrontation avec la guerre d’Algérie, celle qui ne voulait d'abord pas dire son nom, et qui obligea Bec, en 1957, à quitter la femme aimée, ce qui nous a valu des cris d'amour déchirants adressés à « Anna l'amor ».
C’est à une autre forme de mise en contexte que se livre Jean-Claude Forêt qui propose une lecture de la trajectoire poétique de Bec lui-même, depuis les premiers textes publiés jusqu’aux plus récents, soit une vingtaine de recueils, à partir des deux motifs poétiques principaux qui parcourent l’œuvre : La femme et le pays. Forêt suit, de recueil en recueil « cet itinéraire de parole » après avoir analysé la continuité poétique de ces grands motifs, que croise souvent la hantise de la mort. Bec est replacé à la fois dans la continuité du joi d’amour des troubadours et dans la perspective du surréalisme (Breton, Éluard, Aragon) auquel s’ajoute l’influence de Char.
C’est à partir d’un autre angle d’attaque que Philippe Gardy situe dans son temps l’œuvre de Serge Bec : il la met en parallèle avec celle de son presque contemporain Yves Rouquette, tous les deux témoignant des « retours du lyrisme dans la poésie d’oc des années 1950 ». L’analyse de ces deux voix poétiques, toutes deux lyriques, mais dans des tonalités très différentes, s’éclaire du recensement minutieux de leurs sources possibles ou clairement revendiquées, de la description du contexte éditorial dans lequel sont publiées leurs ouvrages et de leur réception.
Autre éclairage encore, celui que nous apporte le dépouillement de la correspondance croisée entre Serge Bec et Robert Lafont. On y découvre les coulisses où se bâtissait l’entreprise éditoriale de la poésie occitane de ces années 50, une entreprise dans laquelle Lafont jouait un grand rôle ; il ne servait pas seulement de conseiller linguistique et littéraire avant l’édition mais également de critique après celle-ci. On y découvre aussi les sentiments intimes du jeune Bec avant qu’ils ne soient voilés / dévoilés) par leur expression poétique : enthousiasme amoureux et douleur presque physique de l’absence de l’être aimé…
Cette qualité d’une expression presque physique des sentiments doit beaucoup au foisonnement des images poétiques et à leur surgissement inattendu. On comprend mieux l’art du poète après l’étude précise des métaphores que conduit presque avec minutie, Paul Peyre, un fin connaisseur de l’œuvre du poète.
Cet ensemble d’éclairages sur l’œuvre de Bec et son contexte se complète d’un témoignage, celui de Jean-Luc Pouliquen, lui-même poète, critique et éditeur, à qui l’on doit un ouvrage de conversations croisées entre Bec et Manciet[8]. Il nous livre ici ses souvenirs personnels de son compagnonnage poétique et éditorial avec Serge Bec...
Marie-Jeanne Verny
LLCAS
Université Paul-Valéry
Montpellier III
Marie-Jeanne Verny
LLCAS
Université Paul-Valéry
Montpellier III
[2] Voir Philippe Gardy et Marie-Jeanne Verny, Max Rouquette et le renouveau de la poésie occitane : la poésie d’oc dans le concert des écritures poétiques européennes (1930-1960). Presses Universitaires de la Méditerranée (Université Montpellier 3), collection « Études occitanes », 2010.
[3] Dans le cadre d’un programme pluriannuel (2010-2014) intitulé « La réception des troubadours, XIIIe-XXIe siècle », coordonné par l’université de Toulouse II-Le Mirail (UTM), associant les universités d’Aix-Marseille, Barcelone (Universitat Autònoma de Barcelona, UAB), Bordeaux III (Université Michel de Montaigne), Gérone (Universitat de Girona, UdG), Montpellier III (Université Paul Valéry, UPV) et Pau (Université de Pau et des Pays de l’Adour, UPPA). Coordination générale assurée par Daniel Lacroix (UTM) et Jean-François Courouau (UTM).
[4] Denis Saurat, Encaminament catar, P. U. du Mirail, « Interlangues », Toulouse 2010.
[5] Federico García Lorca,
- Romancero gitan, Version occitana de Max Roqueta, editat per Felip Gardy, Toulouse, Letras d’òc, 2009.
- Poèma dau Cante Jondo seguit de Planh per Ignacio Sánchez Mejías e de Divan dau Tamarit, version occitana de Max Roqueta, Edicion establida per Felip Gardy, Toulouse, Letras d’òc, 2010
[6] Lenga e País d’òc, n° double 50-51, CRDP Montpellier, 2011.
[7]Philippe Gardy, René Nelli, la recherche du poème parfait suivi de René Nelli, Choix de poèmes, Carcassonne, GARAE /Hésiode, 2011.
[8] Jean-Luc Pouliquen, Serge Bec, Bernard Manciet, Entre Gascogne et Provence. Itinéraire en lettres d’Oc, Aix-en-Provence, Edisud, 1994.
Complément :
- le site de la Revue des Langues Romanes
Complément :
- le site de la Revue des Langues Romanes
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