Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 1 février 2020

Rencontre avec Ann Cefola

Au mois d'avril 2018, je présentais dans ce blog le livre d'entretiens que j'avais réalisé avec l'historienne et critique d'art new-yorkaise Beth Gersh-Nešić qui s'intitulait Conversation transatlantique autour de l'art et de la poésie. Au cours de nos échanges, pour illustrer l'activité poétique actuelle aux États-Unis, Beth fut amené à parler de son amie Ann Cefola. Je suis heureux qu'à son tour Ann ait accepté de répondre à mes questions pour nous faire partager un peu de sa vie de poète outre-Atlantique et je l'en remercie.

Ann Cefola

Bonjour Ann, pourriez-vous en quelques mots nous dire ce qu'être poète aux États-Unis aujourd'hui signifie ?

 Merci, Jean-Luc, pour votre invitation à parler un peu de la situation ici. C'est un moment favorable pour être poète aux États-Unis. Nous disposons d'une multitude de ressources – des ateliers et des conférences, des locaux offerts par les municipalités et les organismes littéraires ainsi que de programmes dans les universités. Il y a des revues de poésie et des cours d'écriture en ligne. Un poète a toujours accès à une communauté d'écriture et c'est pour lui l'occasion d'améliorer son métier. Avec de telles richesses, le plus grand défi est de choisir et de rejoindre la communauté et l'éditeur appropriés qui aideront le poète à grandir.

Pour votre part quelle communauté avez-vous rejoint ?

Je participe à un cycle de poésie, «Dimanches avec George», qui a lieu tous les mois au Centre Communautaire Juif de Tarrytown (NY). Il est animé par George Kraus, PhD, qui est poète et traducteur. Après chaque lecture, il y a un salon littéraire avec un haut niveau de conversation. Je suis également soutenue par l'amitié de longue date de trois écrivaines, Sarah Bracey White, Terry Dugan, et Linda Simone. Nous nous appelons «Les Saphirs» et nous nous réunissons chaque été pendant une semaine pour partager notre travail et nous offrir des conseils pratiques sur la vie d'écrivaine.


Pourriez-vous nous dire par exemple ce que ce travail collectif a pu apporter à votre dernier livre Free Ferry ?

Free Ferry a commencé comme un poème il y a vingt ans, et les Saphirs ont été les premières cet été-là à entendre la lecture des premières lignes et à m'encourager. Le poème est sorti du souvenir de la découverte de ma mère chantant sur l'enregistrement de «La Fille d'Ipanema» dans notre sous-sol, et cela semblait un moment singulier où une femme au foyer et une mère aspirait à autre chose. Cette réponse initiale de mes amis a aidé à lancer l'écriture de ce long poème qui traverse tout le livre -- bien qu'à l'époque je n'avais aucune idée de ce qu'il allait devenir.

Un poème très original dans sa forme abordant un sujet grave.

Oui, merci, c'est ça précisément! Je voulais partager l'excitation de la découverte scientifique par une poignée de jeunes hommes sélectionnés pour un projet sans qu'on leur dise de quoi il s'agissait. Le récit du haut illustre l'impact de leur travail quelque 20 ans plus tard -- qui a changé notre monde pour toujours.

Le projet Manhattan qui produisit la première bombe atomique que vous mettez en regard de l'american way of life dans ce qu'il a de quotidien.

Aujourd'hui, nous avons une sorte de malaise tranquille autour de la possibilité de nous anéantir nous-mêmes et la planète. Pendant la guerre froide, aux États-Unis, des écoliers se cachaient sous leur bureau ou dans les couloirs dans des exercices de bombe ; certaines familles avaient des abris anti-bombes souterrains dans leur arrière-cour; et vous pouviez voir des fusées tout au long de la route qui vous menait à la plage.

Cette « culture de la bombe » dans les années 1950 et 1960 était un nouveau mode de vie américain, favorisant le mythe selon lequel nous serions en sécurité quoi qu'il arrive. La prospérité et le consumérisme d'après-guerre à bien des égards ont également constitué une distraction. C'était, comme dans mon poème qui cite la chanteuse Astrud Gilberto, « C'était une époque où les gens aux États-Unis voulaient se tourner vers autre chose que leurs problèmes... et avait besoin d'un peu de romance, quelque chose de rêveur, pour la distraction. »

Le « Ferry » n'est jamais gratuit ... il y a toujours un coût.

De gauche à droite : Ann Lauinger, Beth Gersh-Nešić et Ann Cefola.

À côté de votre propre écriture, vous menez un certain nombre d'actions pour faire vivre la poésie. C'est ainsi que vous êtes traductrice. Pourriez-vous nous présenter votre travail en ce domaine ?

Je suis fière d'avoir traduit la poète française contemporaine Hélène Sanguinetti au cours des vingt dernières années. La traduction d'Hélène m'a aidé à grandir en tant que poète -- elle écrit un travail expérimental contrairement au mien, ce qui m'a mis au défi de prendre des risques dans mon écriture. J'ai traduit en anglais Hence this cradle (Seismicity Editions, 2007), et The Hero (Chax Press, 2018).

Comme pour la poésie, c'est une activité que vous ne vivez pas en solitaire mais en relation avec d'autres traductrices.

Oui, je dois remercier mon ancienne voisine Ligia Yamazaki, qui m'a aidé avec mes premières traductions. Traductrice professionnelle, elle parle quatre langues et traduit souvent un livre comme L'Étranger « juste pour le plaisir ». Nous passons des heures à parcourir des passages difficiles, voire à jouer le texte, pour en comprendre le sens. J'ai tellement appris d'elle.

J'ai trouvé la communauté des traducteurs chaleureuse et accueillante. Il existe des groupes en ligne, tels que Literary translation sur Facebook, où les gens peuvent publier des questions sur l'édition ou la linguistique. Dans ma vie, j'ai la chance de connaître Ann Lauinger, une ancienne professeure de littérature, qui a traduit Ronsard, Virgile, et un poète italien contemporain, Filippo Naitana ; et de connaître aussi Beth Gersh-Nešić, historienne de l'art et traductrice du critique d'art et poète André Salmon.

Nous avons présenté des discussions de groupe où nous partageons avec les écrivains les avantages de la traduction. Non seulement elle améliore notre métier d'écrivain, mais elle peut offrir de nouvelles amitiés et des opportunités pour promouvoir sa propre écriture. Aux États-Unis, les éditeurs du monde entier recherchent une traduction, et c'est le moment idéal pour essayer.

La vitalité de la vie poétique et littéraire dont vous témoignez se retrouve dans votre blog annogram. Pourriez-vous pour terminer nous le présenter ? 

 Bien sûr. J'écris une newsletter en ligne, c'est aussi mon blog, appelé annogram. Plus de 300 personnes dans le monde sont abonnées, dont des poètes, écrivains, artistes et interprètes primés. Dans cette newsletter gratuite, je fais la promotion de mon propre travail ainsi que de celui de mes amis. Je mentionne de nouveaux livres, des ressources d'écrivains et d'autres articles qui soutiendront le voyage artistique que nous entreprenons. J'inclus une recette, donc il y aura aussi quelque chose de bon à manger. C'est une vraie communauté, et je suis honorée que vous, Jean-Luc, en fassiez également partie.

Merci beaucoup de m'avoir laissé un peu d'espace dans votre blog, et meilleurs vœux pour votre nouveau livre, Dans le miroir des livres.

Merci à vous, Ann, pour ce partage. 

Complément :
- Le site d'Ann Cefola.

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