Voilà maintenant plus d'une trentaine d'années que la littérature contemporaine a fait une entrée en force dans l'Université. C'est une bonne nouvelle pour les écrivains que le monde médiatique a tendance à négliger, lui qui préfère emboîter le pas à ce qui est dans l'air du temps et se vend bien. Grâce aux chercheurs qui ne cèdent pas aux sirènes de la mode, nous pouvons retrouver des auteurs dont l'œuvre a résisté à la durée et a même encore à nous parler si nous nous donnons les moyens de bien la comprendre. Pour cela des clefs sont souvent nécessaires et c'est dans les colloques et les publications universitaires que nous avons la chance de les trouver. L'initiative qu'avait prise Nelly Labère d'organiser en 2007 trois journées consacrées à Jacques Audiberti et à l'analyse de son imaginaire en est une belle illustration. Aujourd'hui, elle présente les différentes communications faites durant ce colloque dans une même publication éditée par les Presses Universitaires de Bordeaux et nous dit en introduction : "Le colloque L'imaginaire de l'éclectique : Audiberti (1899-1965) qui s'est tenu les 29-30 novembre et le 1er décembre 2007 à Bordeaux, a voulu rendre hommage à Jacques Audiberti en retraçant son travail sur les figures de l'imaginaire. L'originalité de cette rencontre (et celle d'Audiberti lui-même) a consisté à réunir, sous une même problématique, diverses disciplines et méthodologies associées aux études sur l'imaginaire." Nelly Labère ajoute plus loin : "Ce livre que nous écrivons aujourd'hui en l'honneur de celui qui fut, Jacques Audiberti, est porteur de cette rencontre de l'amitié."
"Qualifié "d'inspecteur Maigret métaphysique" par son ami Claude Nougaro, Audiberti est cet écrivain inclassable, à l'imaginaire fécond, "venu sur terre [selon sa propre définition] pour enquêter afin d'ajouter son reportage aux dossiers de Dieu". Pièces de théâtre, romans, poèmes, articles, préfaces et traductions (près de 750 références au total) en portent la trace dans une production foisonnante aux références multiples. Réuni autour de l'imaginaire, ce recueil d'articles interroge la poétique de Jacques Audiberti, "cavalier seul" d'une littérature dont il fonde, en le détournant, le genre - toujours et essentiellement humain" pourra-t-on lire encore en quatrième de couverture.
Dès lors, il ne nous reste plus qu'à le parcourir à la recherche d'une porte d'entrée qui nous fera pénétrer dans l'œuvre de la manière qui nous convient le mieux et le livre nous en propose de nombreuses. Pour commencer Jeanyves Guérin s'attache à présenter L'abhumaniste, une réponse d'Audiberti à l'humanisme engagé de l'après-guerre pour lequel Sartre a fait figure de chef de file. Dans L'abhumanisme, l'homme n'est plus le centre de la création, il n'est qu'un élément de la totalité. Jeanyves Guérin rappelle aussi les liens d'Audiberti avec la N.R.F des années trente, revue dans laquelle la littérature était vécue pour elle-même, en dehors de toute position politique. C'est ensuite Guy Latry qui reprend les rapports d'Audiberti avec la langue d'Oc. Natif d'Antibes, l'auteur a baigné dans le provençal durant toute son enfance. Son oeuvre en porte la trace. C'est ce que j'avais d'ailleurs déjà eu l'occasion de souligner en 1999 dans le n°54/55 de revue OC.
Une part importante de la publication est accordée au théâtre de Jacques Audiberti. Benoit Barut s'est intéressé aux didascalies, ces indications qui accompagnent les dialogues des personnages et dans lesquelles il perçoit le langage de l'auteur comme le lieu par excellence de l'équivoque. Yannick Hoffert de son côté nous parle des figures du temps dans ses pièces. Grand explorateur de l'Histoire, Audiberti y a puisé la matière de son théâtre comme par exemple dans Le Cavalier seul qui se situe à l'époque des croisades ou encore dans Coeur à cuir qui nous ramène au XVème siècle. L'Effet glapion se situe au contraire au XXème siècle et Hélène Laplace-Claverie traite de la domestication des chimères dans cette "parapsychocomédie" en deux actes. On ne pouvait laisser sous silence Le mal court, le pièce la plus connue d'Audiberti et c'est Michel Bertrand qui l'aborde sous l'angle de "la poétique des frontières". Deux autres communications complètent ce volet sur le théâtre. Michel Pruner a eu la chance de participer comme comédien en 1974 au spectacle monté par Marcel Maréchal lors de la reprise de La Poupée. Il raconte et analyse cette expérience en la complétant de nombreuses photos. Roman à l'origine, La Poupée a donné naissance à un film réalisé par Jacques Baratier avant de devenir une pièce de théâtre. Enfin Elisabeth Lecorre revient sur Quoat-Quoat et Pomme, pomme, pomme pour se pencher sur un sujet très cher à l'auteur de La nouvelle origine : le mythe de la Création.
Finalement, c'est le théâtre qui aura eu la part belle dans cet ensemble. Pourtant la littérature et la poésie n'y sont pas oubliées. Michel Braud s'interroge par exemple sur les relations entre la littérature et le réel à propos de Cent jours, un ouvrage dans lequel Audiberti tente de restranscrire une période de sa vie. Il faut rapprocher ce livre de Dimanche m'attend écrit quinze ans plus tard et dans lequel l'écrivain nous livrera cette fois la quintessence d'une existence entière. Audiberti n'a cessé d'interroger les grandes figures littéraires du passé. Caroline Trotot nous montre en quoi Le Tasse, l'auteur de la Jérusalem délivrée, a pu l'influencer. Agnès Spiquel nous explique comment l'entrée en poésie d'Audiberti s'est opérée par l'intercession de Victor Hugo.
Il restait pour conclure de refermer le livre sur une note plus légère. C'est Brigitte Buffart-Moret qui nous la donne en nous parlant d'Audiberti et la chanson. Nous savons quelle influence il eut sur Claude Nougaro. Cette question des rapports entre la poésie et la chanson a déjà été abordée dans ce blog. Jacques Audiberti y apporte sa contribution avec ces mots que Brigitte Buffart-Moret a été bien inspirée de citer : " Je daterai [...] la mort apparente et momentanée de la poésie de l'instant où le dernier sonnet fut écrit par le dernier poète formel ou formaliste ". Là ne s'arrête pas la citation, mais je renvoie le lecteur à la publication de Nelly Labère pour aller au fond des choses et puis ensuite je l'invite à en revenir aux livres d'Audiberti eux-mêmes.
Complément :
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