Pour se faire une idée véritable de la poésie, il ne faut pas s'en tenir à ceux qui occupent dans le présent le devant de la scène, qui sont à l'affiche des festivals et des différents événements organisés dans le moment. Si ceux-ci ont leur importance et permettent un contact avec la poésie en train de s'écrire, ils ne doivent pas faire oublier tous ceux qui préfèrent se tenir à l'écart ou n'ont plus l'envie et l'énergie de participer à ce genre de rencontres. Pour se faire une idée véritable de la poésie, il est aussi nécessaire de suivre des chemins de traverse, de se laisser guider par la vie et les rencontres inédites qu'elle nous offre. J'ai eu, il y a peu, le plaisir de faire la connaissance de René Ferriot et de découvrir un poète dont le parcours mérite toute notre attention.
Né en 1920, René Ferriot a commencé à publier ses poèmes dans les années quarante, à Lyon, dans la revue
Confluences dirigée par René Tavernier, père de Bertrand, le cinéaste. Plus tard ce fut Pierre Seghers qui lui donna l'occasion de s'exprimer dans sa collection
Poésie 54. En 1976, il a soutenu en Sorbonne une thèse de Doctorat consacrée à Rilke et Mallarmé. Celle-ci était dirigée par Charles Dédéyan, éminent Professeur de littérature comparée, dont le frère Christian fut publié sous la bannière de
l'École de Rochefort. L'itinéraire de René Ferriot embrasse plusieurs disciplines. De la philosophie, il est passé à l'allemand, puis aux Lettres, ce qui l'amena à enseigner la Littérature comparée dans plusieurs universités, dont celle de Dakar, où Léopold Sédar Senghor, qui avait apprécié sa thèse et sa poésie, l'avait appelé.
Raffinée et dépourvue d'emphase, intime et retenue, son expression a suscité des commentaires approbateurs parmi lesquels ceux de Max-Pol Fouchet et de
Gaston Bachelard à qui nous avons rendu hommage dans notre dernière chronique.
De son recueil Désertiques paru en 1967, Max-Pol Fouchet dira : "Ce qui m'a frappé, d'abord, c'est un sentiment du gouffre, pour reprendre une expression de Baudelaire, qui trouve son symbole et son image dans le désert, certes, mais plus encore, à mes yeux, dans le sentiment des passages du 'sillage' laissé par les êtres, un tragique que j'entends dans des vers comme ceux-ci : "La courbe s'efface/Le moule s'effrite/la poussière aveugle le temps inerte/l'absence raye le cristal de l'été" ou mieux encore ici : "J'attends la chute des branches/J'écoute l'écho des paroles perdues". Votre lecteur, en vous suivant, s'il passe par l'absence et le silence, accueille comme vous le silence, voire la mort, comme des certitudes de vie, de palingénésie, de résurrection."
Quant à Gaston Bachelard, il répondit par ces lignes, après avoir reçu en 1961, La flamme et le givre : "J'ai lu vos poèmes avec un grand repos d'âme. Venant de nouveau des demeures agitées, j'avais besoin de la page d'un poète. Depuis deux jours, je quitte mes devoirs d'épistolier pour infuser doucement dans votre beau livre, La Flamme et le givre. Les poèmes mettent le souffle dans la paix des syllabes. Oui, vous m'avez été un bienfait."
Terminons avec ce poème qui complète les commentaires précédents, où René Ferriot nous indique l'orientation qu'il a donnée à sa poésie.
ART POETIQUE
Trouver le mot qui file son filet
Et vous embrouille comme une araignée de soie,
Ou bien le mot grappin, le mot qui croche
Au fond des racines chevelues.
Trouver la modulation, l’accord
Profond des aigus et des graves
Dans la vibration
De l’instant.
Trouver la main, la femme.
Trouver le rayon, le miel, l’audace,
Et puis l’épaisseur chaude des foins coupés.
Trouver la flèche de feu,
Morsure du matin sur la peau de l’œil
Purifié.
Trouver la syllabe, la noire
Qui ne sait plus ce qu’elle dit
Mais qui vous frappe
Au centre de l’astre
Retrouvé.
La caroube saigne inutile
Sève, saveur perdue.
Allons, arrêtez vos pianos mécaniques,
Messieurs, et vos mandolines,
LA POESIE DEMANDE QU’ON DISE
CE QUI NE PEUT SE DIRE AUTREMENT ?
La plaine des montagnes,
Et le sang des mains qui se lèvent.
Le recueillement de l’orage
A pas glacé les hameaux perdus
D’une buée d’haleine fraîche,
Les galets des torrents nus.
Ecaillez les schistes verdâtres,
Le gîte de l’amour se cache
Au ruissellement des jours d’orage.
René FERRIOT
René Ferriot à été mon professeur en 1963-1964. Je l'ai retrouvé quarante ans plus tard et nous avons entretenu une belle amitié et une correspondance suivie jusqu'au décès de son épouse Chantal. Il semble alors avoir perdu le goût de tout,
RépondreSupprimersauf de la poésie qui l'a toujours habité.
C'est sans doute l'homme qui a le plus compté dan,s mon itinéraire d'écrivain. Jean Louis SERRANO
Merci pour ce témoignage.
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