En écho à ma chronique du 10 juillet dernier, Michel Capmal que j'ai présenté il y a peu au travers de son dernier livre Nous avons perdu les hautes terres..., m'a adressé le texte qui suit, que je suis heureux de publier dans ce blog.
QUELQUES NOTES SUR BACHELARD
Relisant La psychanalyse du feu, je me retrouve sur la même longueur d’onde que Jean-Luc Pouliquen. En effet, qui a découvert Bachelard dans sa jeunesse, ne peut que retourner vers ce fleuve et ses alluvions ; vers cette pensée créatrice. Sans lui, sans elle, l’épistémologie, la critique littéraire, la psychanalyse seraient restées clôturées, desséchées, propriétés de spécialistes au service d’une idéologie scientiste. Autrement dit, d’une pensée, séparée, coupée, mutilée. Peut-être est-ce un peu « exagéré » et pourtant… Il serait intéressant, je crois, de faire une mise en relation avec certaines intuitions de Nietzsche, notamment dans Le Gai Savoir, le livre de la « guérison » et de la joie. « Telle est réellement la « santé », pouvoir être en même temps poète et homme de science, exercer une science ni rébarbative, ni arrogante, ni même seulement sérieuse. » (Giorgio Colli) Rencontrer Bachelard, ou disons : « tomber sur » un livre de Bachelard, c’est se reconnecter avec son cosmos intérieur lequel n’a que peu à voir avec une intériorité névrotique mais est un fondement vivant et agissant qui nous relie directement avec l’inexprimable et incommensurable mouvement cosmique. Aussi bien chaos qu’univers, ou multivers. Le Dehors et le Dedans cessent dès lors d’être perçus contradictoirement. Feu, eau, terre, air. Il s’agit là de nous-mêmes puisque nous sommes aussi et surtout cela. De même que, par exemple, de l’apollinien et du dionysiaque. C’est « l’humain » réconcilié avec le« non-humain », ses fondations, sa matrice. Aujourd’hui, en notre époque présente, Bachelard me paraît être, parmi les auteurs majeurs du XX° siècle, l’un de ceux qui auront le mieux et le plus durablement contribué à l’enrichissement et au renouvellement de la pensée humaniste. L’homme dans sa globalité, et non pas limité à sa condition sociale, toujours réductrice, mais en tant qu’être sensible et vivant destiné à développer harmonieusement ses potentialités. « La conquête du superflu donne une excitation plus grande que la conquête du nécessaire. L’homme est une création du désir, non pas une création du besoin. » Il y a dans son œuvre une critique de l’utilitarisme et du rationalisme borné et prédateur sur laquelle il est plus que jamais nécessaire de revenir. Lire ou relire Bachelard c’est savourer la langue française animée par la pensée de l’imagination créatrice, rigoureuse et magique, porteuse d’une vraie et admirable culture en quête de l’unité profonde et véritable de l’humain. C’est passer une soirée silencieuse et méditative devant la flamme d’une chandelle et tout près d’un feu de cheminée avec un ami, un vieux sage (j’allais dire un vieux druide) qui, parlant de choses et d’autres avec une si féconde et chaleureuse simplicité, vous remet peu à peu sur le chemin nourricier. Ce chemin parcouru dans l’enfance et qu’on croyait perdu ou oublié, et qui pourtant se tient là, à deux pas de nous-mêmes.
Michel Capmal
Compléments :
- Même si ce blog est essentiellement tourné vers la poésie et la création artistique, je profite de l'occasion pour signaler l'excellent livre de Teresa Castelão, Gaston Bachelard et les études critiques de la science dont la clarté et le sens pédagogique permettront de mesurer le rôle joué par le philosophe dans la compréhension du phénomène scientifique contemporain.
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