Début septembre, nous avions présenté le programme des soirées littéraires organisées par les Amis de Pontigny, en souvenir des fameuses « Décades » créées par Paul Desjardins. Marie-Odile Bougaud, qui participe activement à la préparation et à la mise en œuvre de ces soirées, a accepté de nous en dire plus sur celui qui est à la source de cette aventure spirituelle et culturelle.
Marie-Odile Bougaud, vous avez entrepris un travail original et particulièrement éclairant sur la personne de Paul Desjardins, puisque vous êtes actuellement en train de transcrire ses agendas.
La bibliothèque Jacques Doucet conserve les « agendas bijoux » de Paul Desjardins, de 1924 (il avait alors 65 ans) à 1939, quelques mois avant sa mort à Pontigny. J’ai proposé à Claire Paulhan de poursuivre la transcription déjà commencée, incomplète et parcellaire.
Motivée surtout par les notes sur la vie pontignacienne de Paul Desjardins – qui avaient peu intéressé les chercheurs – j’ai très vite été impressionnée par ses relations sociales (quantité et qualité) et ses projets, émue par ses doutes, ses scrupules, sa spiritualité, ses peines de cœur.
Ce travail avance à petits pas, il faut 4 heures pour copier 3 semaines, et pour l’instant plus de la moitié des agendas restent à transcrire.
Ce n’est donc pas un travail universitaire que vous motive mais plutôt une démarche de sympathie pour quelqu’un qui a vécu dans un lieu auquel vous êtes vous-même attachée. Peut-on se faire des amis par delà le temps ?
Pontigny est un lieu fort, de l’abbaye cistercienne fondée en 1114 subsistent non seulement le domaine que Paul Desjardins acheta en 1906, mais aussi la grande abbatiale lumineuse et silencieuse. Il reste très peu de traces à Pontigny de la période des décades, le domaine a vu se succéder plusieurs occupants, et les derniers témoins ont maintenant disparu. Dans les agendas, Pontigny est souvent évoqué : la préparation des Décades, les aménagements des bâtiments et des jardins, les promenades aux environs, et même la gougère typiquement bourguignonne préparée pour l’arrivée du maître des lieux.
Je dirais donc que l’on peut faire des rencontres par delà le temps, et je vais à la bibliothèque Doucet comme à un rendez-vous très attendu.
Rappelons pour ceux qui ne connaissent pas la Bourgogne que la gougère est une spécialité culinaire à base de pâte à choux et de fromage râpé. L’esprit qui souffle sur Pontigny depuis des siècles n’exclut pas les nourritures terrestres. Justement, comment définiriez-vous celui que Paul Desjardins a voulu insuffler aux Décades ?
Je ne peux que lui laisser la parole : « Des retraites pieuses d’autrefois, les Entretiens d’été voudraient reproduire le bienfaisant effet de rupture périodique avec ce qui disperse, contrarie et use, de rappel de la pensée à elle-même. Mais l’analogie s’arrête là. Les Entretiens d’été sont tout laïques [--]. Ils veulent appliquer discrètement, librement, le régime cénobitique [--] à l’entretien de la plus pure et vivace liberté d’esprit »
Paul Desjardins croit aux vertus de la rencontre, de « l’honnête discussion », en vue d’une meilleure compréhension mutuelle, et finalement, de la paix. Ses efforts pour le rapprochement franco-allemand, malgré l’échec apparent que lui inflige la guerre de 39-45, ont peut-être leur part dans la création de l’Europe.
Même si Lytton Strachey s’ennuie dans les discussions où l’on « coupe les cheveux en quatre », beaucoup de témoignages insistent sur la qualité des échanges « informels », l’intérêt des discussions libres, le thème des Entretiens n’étant qu’un prétexte.
Hormis le cadre pour un effort de compréhension mutuelle et de paix, qui a dépassé aujourd’hui les relations franco-allemandes pour s’étendre à la planète tout entière, le projet et la méthode de Paul Desjardins sont d’une actualité criante. Les facteurs de dispersions se sont multipliés et les rencontres entre écrivains, philosophes, intellectuels, lorsqu’elles prennent la forme de colloques ou de journées d’étude, ne créent pas, me semble-t-il, les conditions de cet échange libre et ouvert, tel qu’il existait à Pontigny. C’est, je crois, dommageable pour la pensée et la création.
Comme j’ai eu la chance de passer plusieurs années sur les lieux mêmes des Décades, il m’est assez facile de me représenter les colloques (singuliers) sous la charmille, la cérémonie du thé de l’après-midi au bord du bief, les promenades dans la campagne bourguignonne. Tout cela facilitait les échanges, permettait à de jeunes étudiants de côtoyer des intellectuels reconnus et de bénéficier de leurs critiques et conseils, créait les conditions de la réflexion. Le retrait du monde, le silence, la proximité des livres, le temps libre, voilà peut-être ce qui manque aujourd’hui ?
Mais qui peut revenir, c’est le vœu que nous formulons. Marie-Odile Bougaud, merci !
Compléments :
La bibliothèque Jacques Doucet conserve les « agendas bijoux » de Paul Desjardins, de 1924 (il avait alors 65 ans) à 1939, quelques mois avant sa mort à Pontigny. J’ai proposé à Claire Paulhan de poursuivre la transcription déjà commencée, incomplète et parcellaire.
Motivée surtout par les notes sur la vie pontignacienne de Paul Desjardins – qui avaient peu intéressé les chercheurs – j’ai très vite été impressionnée par ses relations sociales (quantité et qualité) et ses projets, émue par ses doutes, ses scrupules, sa spiritualité, ses peines de cœur.
Ce travail avance à petits pas, il faut 4 heures pour copier 3 semaines, et pour l’instant plus de la moitié des agendas restent à transcrire.
Ce n’est donc pas un travail universitaire que vous motive mais plutôt une démarche de sympathie pour quelqu’un qui a vécu dans un lieu auquel vous êtes vous-même attachée. Peut-on se faire des amis par delà le temps ?
Pontigny est un lieu fort, de l’abbaye cistercienne fondée en 1114 subsistent non seulement le domaine que Paul Desjardins acheta en 1906, mais aussi la grande abbatiale lumineuse et silencieuse. Il reste très peu de traces à Pontigny de la période des décades, le domaine a vu se succéder plusieurs occupants, et les derniers témoins ont maintenant disparu. Dans les agendas, Pontigny est souvent évoqué : la préparation des Décades, les aménagements des bâtiments et des jardins, les promenades aux environs, et même la gougère typiquement bourguignonne préparée pour l’arrivée du maître des lieux.
Je dirais donc que l’on peut faire des rencontres par delà le temps, et je vais à la bibliothèque Doucet comme à un rendez-vous très attendu.
Rappelons pour ceux qui ne connaissent pas la Bourgogne que la gougère est une spécialité culinaire à base de pâte à choux et de fromage râpé. L’esprit qui souffle sur Pontigny depuis des siècles n’exclut pas les nourritures terrestres. Justement, comment définiriez-vous celui que Paul Desjardins a voulu insuffler aux Décades ?
Je ne peux que lui laisser la parole : « Des retraites pieuses d’autrefois, les Entretiens d’été voudraient reproduire le bienfaisant effet de rupture périodique avec ce qui disperse, contrarie et use, de rappel de la pensée à elle-même. Mais l’analogie s’arrête là. Les Entretiens d’été sont tout laïques [--]. Ils veulent appliquer discrètement, librement, le régime cénobitique [--] à l’entretien de la plus pure et vivace liberté d’esprit »
Paul Desjardins croit aux vertus de la rencontre, de « l’honnête discussion », en vue d’une meilleure compréhension mutuelle, et finalement, de la paix. Ses efforts pour le rapprochement franco-allemand, malgré l’échec apparent que lui inflige la guerre de 39-45, ont peut-être leur part dans la création de l’Europe.
Même si Lytton Strachey s’ennuie dans les discussions où l’on « coupe les cheveux en quatre », beaucoup de témoignages insistent sur la qualité des échanges « informels », l’intérêt des discussions libres, le thème des Entretiens n’étant qu’un prétexte.
Hormis le cadre pour un effort de compréhension mutuelle et de paix, qui a dépassé aujourd’hui les relations franco-allemandes pour s’étendre à la planète tout entière, le projet et la méthode de Paul Desjardins sont d’une actualité criante. Les facteurs de dispersions se sont multipliés et les rencontres entre écrivains, philosophes, intellectuels, lorsqu’elles prennent la forme de colloques ou de journées d’étude, ne créent pas, me semble-t-il, les conditions de cet échange libre et ouvert, tel qu’il existait à Pontigny. C’est, je crois, dommageable pour la pensée et la création.
Comme j’ai eu la chance de passer plusieurs années sur les lieux mêmes des Décades, il m’est assez facile de me représenter les colloques (singuliers) sous la charmille, la cérémonie du thé de l’après-midi au bord du bief, les promenades dans la campagne bourguignonne. Tout cela facilitait les échanges, permettait à de jeunes étudiants de côtoyer des intellectuels reconnus et de bénéficier de leurs critiques et conseils, créait les conditions de la réflexion. Le retrait du monde, le silence, la proximité des livres, le temps libre, voilà peut-être ce qui manque aujourd’hui ?
Mais qui peut revenir, c’est le vœu que nous formulons. Marie-Odile Bougaud, merci !
Compléments :
- Les photographies en noir et blanc proviennent du fonds Jausseran-Schmidt. Sur la première, on remarquera, debout cheveux clairs, Liliane Chomette, future épouse de Ramon Fernandez et mère de Dominique Fernandez. Sur la seconde, en partant de la gauche : Léon Brunschvicg, Paul Desjardins (de dos), François Mauriac et André Gide. La photographie en couleurs (vue de l'abbatiale depuis le parc du domaine) provient du fonds des Amis de Pontigny.
- Le site des Amis de Pontigny
- Pour mieux connaître Paul Desjardins, nous recommandons le livre de François Chaubet : Paul Desjardins et les Décades de Pontigny aux Presses Universitaires du Sptentrion.
- Le site des Amis de Pontigny
- Pour mieux connaître Paul Desjardins, nous recommandons le livre de François Chaubet : Paul Desjardins et les Décades de Pontigny aux Presses Universitaires du Sptentrion.
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