L’èstre / La chose
L’èstre, en langue d'oc, c’est l'être, et aussi ce que l'on ne peut nommer : la chose, le machin, le truc, et « Chose » s'il s'agit d'une personne. Le parcours de Michel Destieu s'inscrit sous le signe de cette ontologie particulière. L'univers nord-agenais de l'enfance où la langue et l'élan des tertres ne font qu'un, est en même temps celui où rien, déjà, ne coïncide, où tout s'illumine et se perd dès l'origine. Et « Chose » là-haut, d'appel en absence en appel en absence, est prié de venir voir comment ça se passe. Il y a encore toutes ces voix, en patois, de ceux qui n'ont même plus de nom, mais qui mènent sans doute au plus loin la quête à partir du désastre. Dans la résonance à la fois familière et lointaine de la langue. C'est dans cette langue, dans sa langue, que Michel Destieu, entre âpreté et tendresse, « ferraille » sur l'enclume des jours, pour y tordre l'èstre.
Jean-Pierre Tardif
Extraits
Nous sommes quelques-uns à vivre à côté d’une chose pittoresque. Elle nous rassasie depuis le berceau et nous trouve incapables de lui rendre quoi que ce soit. Nous n’avons aucune langue entre nous. Quitte à rester en bordure de sa musique, nous crions, sifflons en mimant les yeux et les oreilles des chouettes avec la nuit pour voisine.
Nous marchons ainsi, quasi muets, joyeux au milieu des gens et des bêtes. Sans personne ni réponse.
Sèm quauques-uns de nos sentir a costat d’un èstre pintoresque. Nos sadola dumpuèi lo breç e ne podèm pas i tornar res. N’avèm cap de mòts entre nosaus e ne sèm quite de damorar a l’aurièra de sa musica. Gisclèm amai piulèm. Semblèm en-aquèlas chòcas qu’an sonca d’uèlhs e d’aurelhas amb la nuèit coma vesina.
Atal marchèm quasi muts, còrs joiós pel mièg de la gens e de las bèstias. Sens digun ni responsa.
*
Sont-elles les mêmes les maisons des poètes ?
Le dedans déserté sans cloison
décombres et culs de bouteilles pour s'asseoir
la cheminée au plafond
où lit une femme
à voix basse.
Qual sap se son parelhs los ostals dels poêtas ?
L’endedins desertat sens paret
gravas e cuols de botelhas per s’assetar
la cheminèia al plafon
ont legís una femna
a votz bassa.
*
En visite à l’asile.
Pavillons/rues/rond-points/panneaux/parking : Un village d’espace tondu, aucun animal ni personne ne traîne.
Rien d’anormal.
Je sonne et j’entends un trousseau de clés. Immédiatement saisi par des odeurs régressives et des yeux fixes qui m’agrippent.
Le psychiatre est un gourou à cheveux longs, à la langue technique et qui nous régale avec son intelligence sportive. Il sait tout du mécanisme interne de notre sujet qui, lui, n’en pipe rien.
Una vistalha al repaire pels destimborlats.
Pavilhons/carrièras/rond-punts/panèus/parking. Un vilatge d'espandi pelat, ni animal ni digun que se trigòsse.
Res d'anormal.
Campani e ausissi de claus. Còp-sec m'arriban d'odors regresssivas amai d'uèlhs que punton e m'arrapan.
Lo psiquìatre es un goró de pièl long que parla una lenga technica e nos regala damb son intelligéncia esportiva. Zo sap tot de la mecanica intèrna de nòstre sujet que, del, n'en pipa pas res.
*
Entre les pierres, sur faille
eaux d’orages face aux platanes
vers les pentes noyées en combe,
en surplomb
au côté d’aboyeurs
basses-cours dans les rues parmi la terre, partout la terre
chemin blanc, talus
avec l’oiseau - l’alouette d’automne- sur le plateau
j’adorerai le serpent, la couleuvre pleine de grâces
chaume et bois
et encore l’espace à travers champs
jusqu’au tunnel de broussailles où court l’Artigue
les yeux, les mains à fond de fontaine,
abreuvoirs de roche.
Entre pèiras, sus falha
aigas d'auratges cap als platanes
entà las pendas en combas negadas,
en susplomb
a costat de japaires
cortadas per las ruas e la tèrra, pertot de tèrra
peirada blanca, talveras
damb l'ausèl - lauseta d'automne- sul planòl
badarèi la sèrp, la colòbra plena de gràcia
rastolh e bòsc
e un còp de mai l'espandi a travèrs pèças
dunca la tona de romècs ont cor l’Artigua
los uèlhs, las mans a fons de fontana,
bevedor pel ròc.
Miquèl Destieu
Suppléments :
- L'illustration est une huile sur toile de Miquèl Destieu.
- La remise du prix Paul Froment à l'auteur.
Et ce n'est pas parce que c'est "intraduisible" qu'il ne faut pas dire, encore et encore. Et même si l'instant sans cesse se ramasse et se projette, même si la parole retombe caillée : dire, dire, dire... Mercés Miquèl
RépondreSupprimerFrederic