Des hauteurs de la Provence s'envolent pensées et créations d'aujourd'hui

samedi 3 mai 2014

Présence de Fernand Moutet

   L'an dernier à peu près à la même époque, nous rendions hommage à Charles Galtier. Né comme lui en 1913, Fernand Moutet est aussi un grand poète provençal que nous avons eu bonheur à approcher et à éditer aux Cahiers de Garlaban. L'année du centenaire de sa naissance a été l'occasion de plusieurs manifestations dont une particulièrement réussie à Vence où Fernand Moutet a laissé comme pédagogue un souvenir radieux. A l'occasion de cet hommage vençois, nous sommes rentrés en contact avec Nelly Orengo qui nous a fait l'amitié de nous transmettre de nombreux éléments sur Fernand Moutet. Comme pour Charles Galtier, nous allons insister sur la dimension de témoignage afin de restituer toute l'épaisseur humaine du poète. Elle permettra d'éclairer l’œuvre. Voici pour commencer un article de Nelly Orango paru dans le n°4 de la revue Vence durant le XXe siècle qu'elle nous a autorisé à reproduire. Nous la remercions vivement pour cela.


Fernand Moutet, L'Enseignant

   Personne n’a oublié « Fernand », l’enseignant, le « Prof’ », comme tout le monde dit. Mais connaissez-vous l’homme qu’il était déjà de 1947 à 1952 ? Celui à qui l’on donnait des notes, qu’un Inspecteur Primaire jugeait, avant que vous-mêmes n’ayez eu des craintes lorsqu’il rendait les copies ?
   Installé à Vence, il dut cesser ses activités professionnelles pendant près de huit années, touché par une maladie pulmonaire. Puis il reprit ses fonctions avec courage et détermination pour devenir plus tard Professeur au collège de Vence. Plusieurs générations en parlent encore, lorsqu’on évoque « monsieur Moutet », même les parents d’élèves en ont gardé un bon souvenir.

*

   Arles, le 28 octobre 1913, devient le berceau d’un futur grand poète. Arles et ses couleurs, Arles et son accent, Arles va donner à Fernand le goût de la quiétude et de la beauté.


Une souche essentielle au devenir de cet homme qui veut transmettre son goût pour le Savoir. En novembre 1947, l’inspecteur d’académie Tardieu écrit ceci :
   « Un maître sympathique […]. Il a repris, et il a repris avec une conscience touchante. C’est pourquoi, et Mr Moutet voudra bien y voir un témoignage d’estime et de confiance, nous nous sommes longuement entretenus avec les élèves de choses multiples et diverses […]. Une bonne impression. Un maître sympathique, ne manquant pas de fermeté, persuadant plus encore que forçant ses disciples, et, parlant, jouissant de la sympathie de son auditoire. Une bonne atmosphère. […] si Mr Moutet s’inspire à l’avenir de la méthode et des procédés que nous avons employés sur place pour faire ‘vivre’ le problème grâce à la grille […] ; être très sévère pour les fautes de copie et d’orthographe. ».
   Même inspecteur, une année scolaire après, en novembre 1948 :
« Vu quelqu’un d’intéressant à encourager. Monsieur Moutet prêche l’exemple. C’est un consciencieux et un travailleur ; par ailleurs il est doux et calme, les gens de ce cours moyen sont légers d’esprit ; ils vont avec facilité, vers la loi du moindre effort. Alors de temps à autre, un bon coup de caveçon, intellectuel s’entend […]. »
   « Consciencieux » ! Oh que oui, pour lui-même comme pour ses élèves, à qui, malgré sa douceur toute relative - il serait plus juste de dire « tolérance » - il imposait plus tard une discipline dans le travail pour les éduquer au goût de la perfection.
   A cette époque, la pédagogie le soucie, il est très scrupuleux « sur les méthodes à employer pour mener ses disciples avec pas mal de bonheur dans le soin de l’acquisitif et du formatif […]. Éducation et discipline : est toujours fonction de la manière d’être de Mr Moutet fait de délicatesse, d’affection et de fermeté et de sa façon de faire qui postule la collaboration de l’auditoire… », comme l’indiquait l’inspecteur le 3 novembre 1950. « Si un poste de lettres était créé, comme nous le demandons au Cours Complémentaire de Vence, nous avons l’impression que Mr Moutet y tiendrait bien sa place » ajoute-t-il en conclusion du rapport. Le reproche fait essentiellement par l’inspecteur cette année-là est la « discipline matérielle ». Il sous-entend le fait que les élèves s’expriment avant le corrigé du Maître.
   Fernand Moutet était de ceux qui respectent la liberté d’expression des élèves, il leur laissait la parole, lorsqu’elle ajoutait au débat.
   Ce qui ne signifie pas le bruit. A ne pas confondre ! L’expression de l’idée, tout simplement, que l’inspecteur exigeait « mise en forme claire, précise et concise ». L’enseignant s’y employait déjà.


   Janvier 1951 : Fernand Moutet est nommé « chargé d’enseignement littéraire ». Il est en classe de 6ème et enseigne également l’anglais. Il sollicite à cette époque, auprès de l’Académie, une bourse de séjour en Angleterre, pour « s’inspirer, s’imbiber des instructions dernières sur cet enseignement ». L’Inspecteur Primaire note en 1952 que, bien que lui-même soit au rang des élèves dans cette discipline, ces derniers « suivent avec grand intérêt et participent avec une activité ordonné, comprennent et savent le vocabulaire et aussi des choses de la grammaire ».
   Le Maître utilise alors tous les moyens modernes pour étayer ses cours d’anglais : la radio, la méthode « linguaphone », des conversations avec les Anglais vençois qu’il fréquente et, parallèlement, il joue un rôle littéraire et musical actif lors des fêtes d’été de l’école.
    Au mois de mai 1952, il sera proposé et appuyé par l’Inspecteur pour un séjour en Angleterre, lequel sera accepté.
   J’eus le bonheur de l’avoir pour professeur de la 5ème à la 3ème, en français, mais aussi en dessin et musique. Le poète reconnu qu’il était devenu savait communiquer son goût pour la rime, et insuffler à beaucoup le plaisir d’écrire, tout simplement. Certains en font désormais profession. Lorsque les disciples évoquent leur professeur, c’est pour dire : « Ooooh… Monsieur Moutet… ».
   Ses élèves, dans la grande majorité, gardent le souvenir d’une voix feutrée et forte à la fois, à la Louis Jouvet, acteur en vogue de l’époque. De ses cours naissait un désir réciproque de qualité de l’expression littéraire. Lui-même connaissait bien chaque élève, chaque élève ressentait crainte et respect et, paradoxalement, camaraderie, envers ce professeur hors du commun.
   Le quartier du Pioulier eut Célestin Freinet, le « CEG » de Vence avait Fernand Moutet.
                                                                                                                                             Nelly Orengo

Compléments :
- Un DVD a été réalisé sur la journée d'hommage à Fernand Moutet qui s'est tenue à Vence le premier décembre 2013. Il peut être commandé à l’adresse suivante : norengo@orange.fr
- Le n°4 de la revue Vence dans le XXème siècle est à commander à M. Raymond Ardisson au 06.15.37.89.09.

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