En janvier 2018, nous avions commencé l'année par la présentation d'une nouvelle revue. Cette fois nous démarrons avec une parution qui a fait ses preuves et qui continue de jouer le rôle que l'on attend d'elle, à savoir de stimuler l'authentique création poétique. Marie-Josée Christien, qui la dirige et qui a déjà été présentée et publiée dans ce blog, nous a autorisés à reproduire son dernier éditorial. Son analyse et son point de vue coïncident si bien avec les nôtres que nous avons pensé qu'ils seraient une parfaite introduction pour bonne et véritable nouvelle année en poésie.
L'essence du poème
Si
l’on observe les parcours de la poésie et du roman depuis la fin des
années 80, on constate le regain bienvenu du roman et l’éclipse
apparente de la
poésie. En quelques décennies, tandis que le roman est parvenu à rejeter
les oripeaux hérités du « nouveau roman », à contourner les pièges de
ses ex-prétendues avant-gardes et à se défaire de ses nombrilismes, la
poésie est devenue presque illisible, dans
tous les sens du terme. Il n’en fallait pas plus pour qu’elle
disparaisse pratiquement de la presse et des médias, y compris de la
sphère culturelle.
On
ne la rencontre pas forcément non plus là où elle devrait se trouver.
Les lieux (au sens large) qui devraient s’y consacrer, à de rares
exceptions près,
ne cherchent pas à rendre compte de la diversité de la parole poétique
d’aujourd’hui et à l’accompagner par une réflexion partagée. Ils la
délaissent par facilité pour se tourner vers le spectacle dit « vivant »
et les « performances » de quelques aimables
bateleurs en recherche d’autopromotion plus que d’expérimentation réelle
en matière de poésie. Ces derniers, lui retirant sa substance et son
essence, ne proposent la plupart du temps de la poésie qu’un repoussoir,
une caricature gesticulatoire et ennuyeuse.
De fait, en poésie, les innovations de ces dernières décennies se
sont limitées à des tics typographiques et de langage, vite devenus des
vieilleries datables. Après la mode des tirets et parenthèses, celle
des archipels de mots gras ou en italique,
sont venus les artifices de mise en page : rejets de la dernière syllabe
du mot final, éclatement, fragmentation et dispersion du poème sur la
page… Ce qui n’empêche pas la platitude, laissant une impression morne
et ennuyeuse à la lecture.
Parallèlement,
il se répand chez les poètes, avec inconscience, et avec cynisme
parfois, la tentation démagogique de rupture avec les générations
précédentes,
mortifère et contre-productive. Or lire ses aînés est le chemin
indispensable pour trouver sa propre voie, la continuité étant
nécessaire entre la créativité d’aujourd’hui et l’héritage de nos
prédécesseurs.
La
poésie est pourtant loin d’être obsolète et son rôle n’est pas
dérisoire. Elle doit aujourd’hui reconstruire du collectif là où il n’y a
plus que des
individus et des ego en concurrence. De souterraine et retranchée dans
un entre-soi, la poésie replacée dans le monde qui nous entoure parlera
alors à chacun. Pour qu’elle échappe aux modes et cesse de n’être qu’un
vain exercice sophistiqué de langage, elle
doit devenir une création de l’esprit qui ouvre sur la vie et sur le
monde, comme le conçoit le poète Kenneth White : « Pour moi, la poésie
ce n’est pas des états d’âme, des émotions ni des jeux verbaux. C’est
une activité fondamentale de l’esprit. » Max Jacob
pressentait déjà que « la poésie redeviendra humaine ou périra comme
inutilité ». Car elle porte en elle cette capacité à métamorphoser la
création individuelle en élan collectif. C’est là un enjeu de taille.
Une initiative courageuse est venue de Reflets, revue trimestrielle et généraliste diffusée en kiosque. Pour son numéro
de l’été 2018, elle a parié
avec succès sur la curiosité des lecteurs en consacrant son dossier à la
poésie. Un exemple à suivre ! Sur les 83 pages du numéro, le dossier
« Poésie, dire l’indicible » en comporte 32, ce qui est en
soi une gageure. Réalisé avec le concours
actif et éclairé de la poète Brigitte Maillard qui expérimente et
multiplie les initiatives pour sortir la poésie et les poètes de leur
confidentialité, il se structure entre quatre thèmes qui pourraient être
les points cardinaux de la poésie : « s’émerveiller »
(Christian Bobin, Pierre Tanguy et le haïku…), « renaître à la vie »
(Brigitte Maillard, Stéphane Hessel, Jacques Lusseyran, Robert Desnos…),
« les enfants sont des poètes » (Jean-Luc Pouliquen), « l’invisible
devient visible » (Laurent Terzieff, Gilles Baudry,
François Cheng). Pas de savantes gloses universitaires, ni de jargon de
spécialistes, mais des entretiens et des articles écrits à la première
personne qui établissent d’emblée une proximité avec le lecteur.
Ce
riche dossier accessible aux lecteurs non-avertis témoigne que la
poésie peut être abordée avec simplicité. Puissent d’autres revues et
journaux oser la poésie à leur
tour.
Marie-Josée Christien
Complément :
Cela fait plaisir à lire et donne espoir en l'avenir, n'en déplaise à celles et ceux qui ne mesurent pas,ou très mal,la grande distance qu'il y a pourtant, effectivement, entre créativité et création véritable !
RépondreSupprimerAndré Lombard. 84 Viens.