Lorsque l'on considère la puissance de feu des médias, capables de répandre en un temps très court une information qui touchera des millions d'individus, on peut se demander quel sens peut avoir de continuer à diffuser un message qui dans le meilleur des cas ne sera reçu que par quelques centaines de personnes. C'est à cette question que sont aujourd'hui confrontés quotidiennement les poètes et les éditeurs de poésie. Question qui ne les empêche pas de continuer leur chemin, sans doute parce qu'ils savent que durée et nombre sont inversement proportionnels, que la trace laissée par une information de masse est éphémère alors que celle laissée par un poème va être profonde et durable.
Voici deux exemples de ces éclats de poésie venus scintiller dans le miroir terne que les moyens de communication moderne nous proposent en continu.
Ce nouveau recueil de Jacques Guigou fait suite à l'édition de Poésie complète 1980-2020 qui a rassemblé ses vingt premiers recueils de poésie. Dans ce dernier opus Jacques Guigou poursuit un thème que nous avions déjà eu l'occasion d'évoquer dans une précédente chronique : sa fréquentation assidue des rivages.
Pour le poète, le littoral est source inépuisable de contemplations, de sensations, de désirs, d'émerveillements, de méditations et d'interrogations qu'il traduit dans une langue épurée et suggestive :
Maintenant
à même cette jetée
cet instant bleuté
analogue aux instants d'alors
instant non répété
mais instant relié
instant dont aucuns des éclats anciens
de la mer
ne lui est retiré
maintenant
à même cette jetée
ce rapt d'éternité
Complément :
- Le livre sur le site de l'éditeur.
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Avec L'île aux oiseaux de Claude Held que viennent d'éditer les éditions de l'Estey nous avons un bel objet entre les mains. "L'objectif de notre association est de réaliser en typographie des livres, des objets-livres, des livres d'artistes, des projets de création liant des textes aux Arts plastiques" nous disent ses responsables Edith Masson et Hervé Bougel. Avec ce recueil tiré à 120 exemplaires numérotés le résultat est convaincant. Pour les connaisseurs la couverture est imprimée sur un papier Fabriano Tiepolo 295g. pur coton, le texte est en caractère Helvetica Corps 10,12 et 16 sur un très beau papier de Lune ne pesant pas plus de 100 g.
Les poèmes de Claude Held quant à eux avaient déjà paru en 2010. Dans une écriture proche de celle de Jacques Guigou, ils font curieusement écho à ses préoccupations :
à quoi faut-il croire quand
l'eau se retire
et que les bancs de sables
émergent
alors que tu passes
avec une idée
de ce qui reste
et s'éloigne
Complément :
- Pour contacter les éditions : estey.editions@gmail.com
Je connaissais, un peu, le théoricien de la revue Temps Critique, mais, je l’avoue, je découvre le poète Jacques Guigou. Pour lui, la poésie est une parole. Parole venue d’un langage sacré, oublié, démantelé, refoulé ? Et/ou parole préfigurant un langage à hauteur d’homme mais possible seulement dans une civilisation construite par une communauté humaine enfin libérée de ses propres ténèbres ? Parole disant présentement le réel à distance de la pensée séparée, et malgré l’aggravation d’une sensibilité mutilée ?
RépondreSupprimerMais si, en quelque sorte, on met en perspective les titres de l’ensemble de ses recueils - (dans le désordre) - : « Par les fonds soulevés, D’emblée, Avènement d’un rivage, Sables intouchables, Vents indivisant, La mer presque, Une aube sous les doigts, Exhaussé de l’instant, Prononcer, Garder,… » et d’autres encore, avec le tout dernier : « Sans mal littoral », on est invités vers l’approche d’un suspens, pour la saisie d’une attente, la redécouverte d’un état d’être qui pourrait s’appeler la « littoralité ».
La littoralité ?... Espace, bord, dimension autre venue à notre rencontre telle une promesse de dévoilement du réel un instant réunifié. On est au bord du monde. Non pas un « arrière-monde ». Nulle mélancolie. On est sur le point de se rejoindre corps et âme dans l’évidence de l’instant. Un « instant relié ». Le temps que la nuit descende dans une bienfaisante lenteur. « Ce rapt d’éternité ». Avec la persistance du pays d’oc.
Il nous reste encore à lire son livre – « théorique » ? – « Poétiques révolutionnaires et poésie ». Et celui de sa « poésie complète ».
Pour « L’île aux oiseaux » de Claude Held, Jean-Luc Pouliquen nous dit avoir entre les mains un bel objet. Au tirage limité à 120 exemplaires. Elégance d’un « objet-livre » pour une vraie poésie. « … ce qui reste et qui s’éloigne ».
Michel Capmal. 11 mai 2023.